
Le traitement anti-hypertenseur dans le contexte de la néphropathie diabétique a trois objectifs:
- Réduire la mortalité,
- Réduire le risque d’insuffisance rénale chronique terminale nécessitant le recours à une technique de suppléance
- Réduire la survenue d’événements cardiovasculaires qui reste la principale cause de mortalité et morbidité chez les patients diabétiques avec une insuffisance rénale chronique.
L’objectif tensionnel se situe entre 130/80 et 140/90 mm de Hg. Il faut éviter les tensions artérielles trop basses surtout les diastoliques.
De plus, le traitement antihypertenseur doit être bien supporté avec des effets secondaires limités. Le but est d’avoir la balance bénéfice-risque la plus positive possible, d’autant plus que la durée de prise en charge va être longue, plusieurs années voir dizaines d’années.

Après cette longue introduction, à mon avis importante pour planter le décor, rentrons dans le vif du sujet qui est fourni par une méta-analyse qui vient d’être publié dans le Lancet en prévision du futur congrès de l’ERA-EDTA à Londres.
Ce remarquable travail mmc1(1) 1-s2.0-S0140673614624594-main a pour objectif, par une analyse en réseau, de classer les traitements antihypertenseurs en fonction de leur efficacité et de leurs effets secondaires chez les patients avec un diabètes de type 2 et une maladie rénale chronique. Cet article est excellent (90 pages de suplementary data). Les auteurs ont inclus les données de 153 études soit 43256 patients. La méthodologie me semble optimale et il sera difficile de faire une méta-analyse de meilleure qualité sur le sujet. La discussion est très équilibrée.
Les résultats, sur la survie, aucun traitement anti-HTA ne fait mieux que le placebo. Quelques traitements frisent la significativité comme vous pouvez le voir, association inhibiteur de l’enzyme de conversion/ inhibiteur calciques (IEC/IC), association IEC/sartans et sartans seuls. On pourrait s’arrêter là et dire que tous les traitements se valent. Comme j’espère l’avoir expliqué un critère dur et cliniquement signifiant pour les patients en insuffisance rénale chronique est la mise en dialyse.
Le résultat majeur de ce travail est de trouver, chez des patients avec néphropathie diabétique (principalement ceux avec macro-protéinurie) que l’association IEC/sartans permet de diminuer le risque d’arriver en dialyse comme les sartans seuls, les IEC sont à la limite de la significativité.

Ce résultat est important. Les autorités et les guidelines ont enterré un peu trop vite l’association IEC/sartans, à mon avis, sur des problématiques de sécurité réelle mais qui sont gérables. Le bénéfice de l’association IEC/sartans peut être illustré par le fait que pour 1000 adultes avec une néphropathie diabétique la prenant pendant un an, nous évitons 14 insuffisance rénale chronique terminale (je vous rappelle qu’un mois d’hémodialyse en centre en France coute 7253 €) et nous observons une réduction de la protéinurie chez 208 patients. Pour un traitement par sartan seul, nous évitons 11 cas d’IRCT et réduisons la protéinurie chez 118 patients. Pour la prévention des complications je me limiterais à ces résultats, car c’est pour ces deux critères que l’analyse est la plus robuste. Vous pouvez voir que les sartans sont les seuls à réduire le risque d’infarctus du myocarde et que de façon étonnante aucun traitement ne diminue le risque d’AVC alors que toutes les classes thérapeutiques sauf IC et bétabloquant réduisent l’albuminurie.
Passons aux effets secondaires, nous voyons ici les limites de la méta-analyse à mon avis et de la qualité du recueil des effets secondaires dans de nombreux essais. Le double blocage, pour l’avoir utilisé et encore l’utiliser augmente le risque d’hyperkaliémie. Ce n’est pas de l’aléa thérapeutique, c’est de l’obligation physiologique, comme pour le risque de poussée d’insuffisance rénale aiguë d’ailleurs. Aucun traitement n’augmente de façon statistiquement significative le risque d’hyperkaliémie et d’insuffisance rénale aiguë, avec l’association IEC/sartans, on frôle la significativité pour les deux et je suis convaincu que l’on peut dire que le risque est augmenté. Pour l’hyperkaliémie si vous regardez les odd ratios vous voyez bien que tous les bloqueurs du système rénine angiotensine aldostérone (SRAA ) augmente le risque. Nous voyons les limites de la statistique. Il ne s’agit pas pour moi d’un manque de puissance mais d’un recueil non exhaustif des effets secondaires dans les études. Il s’agit d’effets attendus qui sont gérables si bien anticipés.
Je le répète haut et fort, les bloqueurs du SRAA entrainent des hyperkaliémies surtout si vous les associez entre eux, surtout si vous rajoutez des AINS et si le patient présente une déshydratation d’apparition brutale par exemple lors d’une gastro-entérite.

Il y a deux effets secondaires qui sortent statistiquement significatifs:
- La toux avec les bloqueurs du SRA,
- Les œdèmes des membres inférieurs lors de l’utilisation des inhibiteurs calciques.
Cette méta-analyse est passionnante, elle conforte mes idées sur l’utilisation des antihypertenseurs au cours de l’insuffisance rénale chronique, ici chez les diabétiques, j’ai le sentiment que ceci peut être étendu aux autres causes d’insuffisance rénale chronique.
On peut avoir le regret de ne pas voir l’impact du régime limité en sel seul, montrant le dédain ou la complexité de mettre en place des études diététiques. Les messages à retenir de ce travail sont
- l’intérêt des bloqueurs du SRAA pour réduire le risque de mise en dialyse,
- la faiblesse des études dans le recueil des effets secondaires,
- Les bloqueurs du SRA font tousser
- les inhibiteurs calciques chez les insuffisants rénaux en monothérapie, ça donne bien des OMI.
En pratique que faire ?
Ce que je vais dire n’engage que moi, il s’agit d’une stratégie personnelle qui n’est qu’une approche tenant compte de la littérature et de mon expérience personnelle.
Devant un patient avec une insuffisance rénale chronique et une hypertension artérielle, j’essaye de déterminer mes objectifs qui seront différents en fonction de la personne en face de moi. J’essaye que ces objectifs soient partagés avec le patient.
A 50 ans, j’aurai un objectif de limiter au maximum le risque de survenue d’une insuffisance rénale chronique terminale, quitte à prendre quelques risques. A 80 ans, je vais avoir le même objectif mais il passera au deuxième plan devant le risque de complications. A partir d’un certain age le mieux est l’ennemi du bien. Un objectif important, pour moi, chez les populations de plus de 75-80 ans est de limiter les hospitalisations. Il faut aussi tenir compte des comorbidités, certains patients de 80 ans sont en meilleure forme physique que quelques patients plus jeunes mais aux très lourdes complications associées. Ici je vois un intérêt des marqueurs pronostic et du calcul de l’espérance de vie, si un patient à un probabilité de décès de plus de 50% à 5 ans, ce n’est pas la peine de s’acharner à vouloir réduire sa protéinurie au risque de le retrouver en hospitalisation pour une hyperkalimémie ou une insuffisance rénale aiguë. Nous traitons des individus. Je voudrais insister sur la tolérance du traitement, si vous réduisez trop la tension artérielle avec l’apparition de symptômes (vertiges, tête vide, malaise voir perte de connaissance) certains patients ne prendront pas le traitement. Si on a l’habitude de vivre à 180 de systolique, passer brutalement à 120 peut entrainer des symptomes. J’ai l’habitude de ne pas vouloir réduire trop vite et brutalement la pression artérielle, surtout chez ceux avec des lésions artérielles. Éviter les hypotensions orthostatiques est important. Ne pas mentir sur les effets secondaires et en discuter est une bonne manière d’obtenir l’adhésion au traitement.
J’ai pour objectif de réduire la tension artérielle autour de 130/80 mm Hg en consultation mais aussi à la maison et je suis de plus en plus un partisan de l’automesure. J’essaye toujours de dire que pour réduire la tension artérielle et protéger ses reins, il faut:
- Limiter son apport en sel,
- Perdre du poids,
- Faire de l’exercice physique,
- Ne pas prendre d’AINS et
- Avoir une consommation modérée d’alcool.
Si le patient n’a pas de protéinurie, je n’ai pas de molécule favorite. Je tiens compte des comorbidités, chez le coronarien, j’utilise un truc qui fera un peu antiangineux, chez le sujet très âgé, j’adore les inhibiteurs calciques. Sinon j’aime bien les IEC, que j’ai l’habitude d’utiliser. Chez le diabétique, j’ai tendance à mettre d’emblée une petite dose de diurétique, en pratique 12,5 mg d’hydrocholorothiazide. Si il y a des œdèmes et bien je mets plus de diurétiques.
Si le patient a une protéinurie, l’objectif, en plus du contrôle tensionnel, est de la réduire à moins de 0,5 g/24 heures. Baisser la pression artérielle fait diminuer la protéinurie. Le régime limité en sel est ici très, très important. Réduire l’apport sodé réduit la protéinurie, il n’y a pas de doute la dessus. J’utilise en première intention les IEC. J’aime cette classe thérapeutique. J’ai ma molécule favorite depuis longtemps, le trandolapril. Je me donne une dose maximum de 8 mg/ jour, en une prise le soir. Si ceci n’est pas suffisant et si en plus le patient fait mal le régime sans sel, j’ajoute des diurétiques. Si ça ne suffit pas encore je fais une tentative de double blocage sur quelques mois. En pratique, j’ajoute un sartan, sans grande conviction pour l’un plus que l’autre. Je vérifie la tolérance en particulier sur la kaliémie et l’efficacité. Si au bout de trois mois, le double blocage n’a aucun bénéfice, j’ai tendance à l’arrêter pour éviter les ennuis. Si il est efficace avec une bonne réduction de la pression artérielle et de la protéinurie, je le maintiens, surtout si la kaliémie est correcte. La situation difficile est l’obtention d’un effet sur la protéinurie mais avec des complications fréquentes à type d’hyperkaliémie qui angoissent tout le monde. Ici on ne peut faire que du cas par cas et il faut discuter avec le patient pour savoir ce qu’il veut faire.
Quand je double bloque le SRAA ou que j’utilise des diurétiques et des bloqueurs, je donne des conseils:
- Éviter de manger des aliments riche en potassium,
- Pas d’AINS et
- Des conseils en cas de gastro-entérite, si la diarrhée et les vomissements dure moins d’une journée on ne change rien, si ça dure plus de deux jours, on arrête les diurétiques et au moins un des bloqueurs le temps des troubles. On reprend uniquement quand on recommence à manger normalement.
Cette méta-analyse conforte mes choix, je vais probablement opter maintenant qu’ils sont tous génériqués pour le sartan en première intention. Je suis conforté dans l’idée qu’il faut essayer le double blocage quand la protéinurie n’est pas suffisamment contrôlée, en restant raisonnable et en tentant de limiter au maximum les risques de complications. Il n’est jamais très grave d’arrêter quelques jours son traitement néphroprotecteur quand il y a des troubles du transit intestinal (diarrhées, vomissements). Nous pouvons même dire qu’ainsi nous optimisons la néphroprotection en évitant les épisodes d’insuffisances rénales aiguës.
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